COLLOQUE MEDICAL DE MONTPELLIER 10 OCTOBRE 1992

PRÉVENIR LA LEPTOSPIROSE

CHEZ LE PRATIQUANT DU CANOE-KAYAK.

POURQUOI LA VACCINATION EST ACTUELLEMENT UNE MESURE ILLUSOIRE

Docteur GRIPPON Ph.*, Docteur HELUWAERT A**.

*:Médecin régional adjoint Ligue Ile de France Canoë Kayak.

centre hospitalier général de Lagny-Marne la vallée

31 avenue du général Leclerc 77405 LAGNY cédex,

**: médecin du sport. 77360 VAIRES SUR MARNE.

La leptospirose est une maladie infectieuse qui peut de par ses redoutables complications mettre en jeu le pronostic vital d'un patient. Du fait de son mode de transmission en milieu hydrique, elle touche particulièrement les pratiquants du canoë kayak.

Après avoir rappelé les principaux signes cliniques de la maladie, nous analyserons les possibilités de contamination liées à la pratique du canoë-kayak.

Nous discuterons alors de l'intérêt de la vaccination actuellement disponible chez les pratiquants les plus exposés.

RESUMÉ :

La leptospirose est une maladie infectieuse dont le diagnostic repose sur un faisceau d'arguments cliniques et anamnestiques. Elle peut présenter de redoutables complications. Leur prévention pour les pratiquants du canoë kayak ne repose que sur une antibiothérapie précoce et adaptée. La vaccination anti-leptospirose développée par l'Institut Pasteur est dans cette indication inefficace.

1 - ASPECTS CLINIQUES

Les leptospiroses sont des zoonoses transmises accidentellement à l'homme et dues à des spirochètes du genre leptospira. Une seule espèce est pathogène pour l'homme : leptospira interrogans, dont il existe de nombreux sérotypes. Les souches pathogènes les plus souvent rencontrées en FRANCE sont : leptospira ictero-hemorragiae, leptospira grippotyphosae, leptospira canicola, leptospira pomona, leptospira australis.

leptospira

Il n'existe pas de relation absolue entre la symptomatologie clinique et le sérotype incriminé pas plus qu'il en existe avec le type de vecteur et l'origine géographique. Il faut cependant noter que leptospira ictero hemorragiae est à l'origine de la majorité des formes graves (1).

Les formes cliniques sont particulièrement nombreuses associant de façon très variable dans leur fréquence et leur intensité un certain nombre de symptômes :

- la fièvre en est certainement le plus constant et reste parfois la seule expression de la maladie. Après une phase d'incubation silencieuse de quelques jours (de 4 à 14 jours suivant le type de leptospires), la fièvre débute brutalement à 39° - 40' avec des frissons. Elle peut être alors associée à des céphalées, des myalgies, des arthralgies et une asthénie faisant évoquer un syndrome grippal. Le tableau peut à ce stade régresser en quelques jours après la prise d'antibiotiques, voire même spontanément en laissant le plus souvent persister une asthénie prolongée (2). Il peut être alors difficile en l'absence d'anamnèse évocatrice de faire le diagnostic et c'est probablement une des raisons qui fait sous-estimer le nombre de cas observés (3).La réapparition de la fièvre au quinzième jour est un signe clinique évocateur de la maladie et de son évolution vers une forme viscérale.

- une atteinte rénale est quasi constamment retrouvée , elle se manifeste par une oligurie, une protéinurie, une microhématurie, une cylindrurie avec leucocyturie. On observe parallèlement une hyperazotémie. Histologiquement, il s'agit d'une néphrite interstitielle à laquelle peut s'associer secondairement des lésions glomérulaires de type immunologique (4).

- un syndrome cutanéo-muqueux, avec vasodilatation généralisée prédominant aux conjonctives et leur donnant un aspect injecté avec douleur et photophobie, semble très évocateur. Il est parfois associé à une éruption morbilliforme et une récurrence d'herpès labial.

- un syndrome méningé est souvent associé, mais il peut être fugace et égarer le diagnostic avec un liquide céphalo-rachidien montrant une hyperprotéinorrachie et des lymphocytes faisant conclure à une méningite virale. La mise en évidence de leptospires dans le LCR à l'examen direct comme en culture est en effet difficile. La récidive du syndrome méningé lors de l'apparition du second pic fébrile apporte des arguments diagnostiques supplémentaires mais il est souvent associé à des signes d'encéphalite.

- l'ictère débutant classiquement entre le 2e et le 8e jour après le début de la fièvre peut lorsqu'il est retrouvé être associé à une hépatomégalie et une hépatalgie. Il existe parallèlement une augmentation des transaminases et de la bilirubinémie qui peut là aussi égarer le diagnostic vers une hépatite virale ou une angiocholite.

- Il peut exister d'autres éléments inconstamment associés; des signes pulmonaires, digestifs et des manifestations hémorragiques. .

Le diagnostic clinique de leptospirose repose sur un faisceau d'arguments. Il s'agit d'un état infectieux avec néphropathie associé à une hépatopathie, un syndrome méningé, un syndrome cutanéo-muqueux dans un contexte étiologique évocateur.

Le diagnostic de certitude peut rarement être fait sur la mise en évidence du germe dans le LCR ou dans le sang durant les huit premiers jours où il est présent.. Il faudra attendre alors le 12ème jour pour voir apparaître les anticorps spécifiques qui pourront être détectés par le sérodiagnostic de Martin et Pettit ou par la technique ELISA avec des antigènes spécifiques.

Les formes graves conduisant à une évolution fatale représente de 5 à 15 % des cas (5). La période d'invasion est alors plus brève, l'ictère est habituellement intense avec une hépatomégalie souvent douloureuse, l'insuffisance rénale est habituelle. Peuvent être associés à ce tableau, des signes neurologiques de type encéphalitique avec des troubles de la conscience et des convulsions, une atteinte myocardique avec hypotension artérielle et troubles du rythme, un syndrome hémorragique. Le décès peut survenir alors dans un tableau de défaillance multiviscérale.

Le traitement repose sur une antibiothérapie qui doit être administrée précocement (bétalactamines, streptomycine, tétracyclines etc..). La Pénicilline G à la dose de 5 à 10 millions d'unités pendant 10 jours semble pour un adulte le traitement de choix. On peut utiliser aussi la doxycycline à la dose de 200 mg par jour pendant la même durée. Mais le traitement antibiotique doit être précoce ; en effet au delà du 5e jour, son activité reste aléatoire (1), les atteintes viscérales relèvent alors d'un traitement symptomatique (épuration extrarénale, traitement anticonvulsivant, ventilation assistée, drogues cardiotoniques etc...

II - MODALITES DE CONTAMINATION

Si la maladie était considérée autrefois comme principalement professionnelle, 80 % des cas de leptospirose actuellement recensés en France Métropolitaine, le sont au cours d'une activité de loisir en eau douce (5). Ceci s'explique par son mode de contamination. Le réservoir de germe est animal. Il s'agit principalement des rongeurs (les rats notamment) mais aussi des hérissons, des chiens, des chats, des porcs et des chevaux et de façon beaucoup moins fréquente des oiseaux, des reptiles et des poissons.. La contamination de l'homme peut quelque fois être directe (par morsure de rat par exemple) ou le plus souvent indirecte par l'intermédiaire des milieux hydriques naturels ou artificiels souillés par l'urine des animaux.

La survie du germe va être alors d'autant plus facile que l'eau est douce, boueuse, chaude (environ 20°C) et légèrement alcaline. La contamination de l'homme dans une eau souillée pourra se faire d'autant plus aisément que ses téguments sont ramollis par l'eau et que sa peau est lésée par de petites excoriations cutanées, situations fréquemment rencontrées au cours de la pratique du canoë-kayak.

Par ailleurs, la contamination par voie transmuqueuse lors d'une immersion est possible (7). Il n'est pas nécessaire en revanche que l'eau soit stagnante et une contamination au bord de rivière torrentueuse est possible (8).

Un certain nombre d'observations de leptospiroses chez les pratiquants de canoë-kayak ont été écrites en France (5) (9) et Outre Manche (10) et illustrent la réalité de ce mode de contamination. Elles concernaient le plus souvent des sujets ayant une pratique très régulière.

III - INTERET DE LA VACCINATION

Dans le but de prévenir la leptospirose et ses redoutables complications chez les pratiquants de canoë-kayak les plus exposés, nous nous sommes intéressés à la vaccination mise au point à l'Institut Pasteur; la seule actuellement disponible en France. Ce vaccin date de 1974. Il a été développé à la demande de l'organisme professionnel des égoutiers de la ville de PARIS où il a été rendu obligatoire pour cette profession en 1976. Cette obligation a ensuite été progressivement étendue aux autres communes.

La vaccination nécessite pour être active trois injections, une le premier jour, la seconde 15 jours plus tard et la troisième 6 mois plus tard avec un rappel tous les deux ans, l'injection coûte environ 200 F. Elle est efficace contre leptospira hemorragiae dont elle contient deux serovars que l'on retrouve de façon exclusive chez les rats domestiques de type "ratus norvegicus". Elle a prouvé son efficacité pour les populations exposées à ce type de rats, comme les égoutiers et les éboueurs (12). Mais, peut-elle être proposée pour prévenir la leptospirose sévissant sur nos rivières ? Un argument technique s'y oppose : La vaccination contre un sérotype en l'occurrence leptospira hemorragiae ne permet pas d'obtenir une protection contre toutes les leptospiroses dont il existe actuellement plus de 130 sérotypes identifiés. Une telle vaccination aurait une chance d'efficacité de l'ordre de 40 % en tenant compte de la répartition des différents sérotypes sur les plans d'eau et rivières (13). Pourtant, leptospira hemorragiae représente la majorité des formes graves. Peut-on alors proposer une vaccination dont la probabilité d'efficacité est de 40 % et qui permet d'espérer réduire l'apparition des formes graves sans en ôter totalement le risque ?

La réponse aurait été positive en l'absence d'une autre solution. Mais dans ce cas de figure, nous disposons d'un traitement efficace, l'antibiothérapie, à condition toutefois qu'elle soit administrée précocement. Il serait en effet regrettable de laisser se développer une forme grave qui traitée tardivement pourrait avoir des conséquences dramatiques, chez un sujet vacciné se croyant faussement protégé. C'est pourquoi dans l'état actuel des connaissances la vaccination anti-leptospirose ne doit pas être recommandée comme moyen de prévenir la maladie chez les pratiquants de canoë kayak (1 3).

Il est fondamental alors de sensibiliser les pratiquants et leur médecin sur le risque de survenue de cette pathologie au cours de la pratique du canoë kayak et de préconiser une antibiothérapie de principe devant tout syndrome fébrile d'allure grippale survenant entre le 4ème et le 14ème jour après une séance de navigation en eau douce, tant qu'une autre étiologie n'aura pas été mise en évidence (5). Il est essentiel de rechercher des signes en faveur d'une néphropathie débutante par un examen à la bandelette, de rechercher un ictère, un syndrome méningé et des signes cutanéo-muqueux en complétant si nécessaire l'exploration clinique par des examens complémentaires. Il s'agit là vraisemblablement du moyen de prévention le plus efficace.

CONCLUSION

La leptospirose est une maladie infectieuse dont le diagnostic doit être fait sur un faisceau d'arguments cliniques et la notion d'un contexte étiologique évocateur. Elle doit être traitée précocement si l'on veut éviter ses redoutables complications. Les pratiquants du canoë kayak y sont plus particulièrement exposés en raison de son mode de transmission hydrique. La vaccination développée par l'Institut Pasteur ne permet pas de disposer d'une prévention efficace dans ce type d'indication. On doit donc préconiser une antibiothérapie de principe devant tout tableau clinique pouvant faire évoquer une leptospirose dès lors qu'il survient quelques jours après une séance de navigation en eau douce, notamment lorsqu'il s'agit un "banal" syndrome pseudogrippal.

 

BIBLIOGRAPHIE

 

1- PILLY E - Maladies infectieuses. Edition Crouan et Roques - Lille -1992.

2- BRICAIRE F - Les grippes de l'été. Revue du Praticien - 1985-36 - P 2221-2225 .

3 - RICHARD PH - Enquête séro-épidémiologique sur des personnes ayant des activités professionnelles ou de loisirs sur divers cours d'eau de Loire Atlantique. Thèse med vet - 1991 - Nantes.

4- GODEAU P - Leptospirose. Traité de médecine - 1987 - 2 - P 2114-2116.

5-DUBOIS F - Approche de la pathologie rencontrée au cours de la pratique du kayak. Thèse médecine - 1987 -Caen.

6-VEYSSIER P - Leptospirose.Encycl Med Chir - Maladies infectieuses - 1980 - Fasc 8039.

7 - LEVERGER JC, MAILLOUX M, TRAM C - Leptospiroses après chute accidentelle dans l'eau. - Med Mal Inf - 1982 -12 - P 699 700.

8 - WILKING E, CODE A, WAITKING S. - Rapids, rats and rats letter. Lancet 1988 - Jul - 30 - 2 - P 354 357,

9 - STOUVENEL O. : Leptospirose et canoe kayak.Canoë kayak magazine - 1986 - 75 - P 39.

10 - SHAW RD - Kayaking as a risk factor for leptospirosis. Mo Med - 1992 - Jun - 89 - 6 - P 354 357.

1 1 - MAILLOUX M, LAMBERT R, CHENU M : La vaccination humaine contre la leptospirose ictero hemorragique. Institut Pasteur Paris.Médecine Hygiene - 1983 - 41 - 15 1 O - P 1025-1030.

13 - BARANTON G. Communication personnelle. Chef du laboratoire des leptospiroses. Institut Pasteur Paris Août 1992 .

 


Le point sur la leptospirose en 1996

(communication au colloque de Poitiers 1997)

Les travaux du centre national pour la leptospirose sur l'année 1996 (5) méritent qu'on s'y arrête :

- 1996 est une année record dans la déclaration de leptospirose.

Il y a une nette amélioration du diagnostic notamment hors métropole. Ce diagnostic est devenu plus rapide et plus fiable avec la généralisation de la P.C.R. (méthode d'amplification génique). Cette amélioration du diagnostic est fondamentale en zone tropicale pour permettre un diagnostic différentiel d'avec la Dengue. Elle n'est pas superflue en métropole où un certain nombre de cas restaient présomptifs.

- En métropole, on constate que cette recrudescence n'est pas liée à des facteurs climatiques, &emdash; la maladie étant favorisée par une saison estivale humide, ce qui n'a pas été le cas &emdash;, et un début d'explication est apportée par les à-côtés sanitaires du plan Vigie-pirates qui permet aux rats de trouver facilement une nourriture abondante.

Mais l'accroissement ne porte pas exclusivement sur les zones urbaines. On peut penser que certaines autres populations de rongeurs sont en développement, notamment le « cousin d'amérique », le ragondin dont la moitié des animaux piégés possède une réponse très élevée pour Ictero-haemorrhagiae avec de nombreuses co-agglutinines pour Australis et quelques autres répondent positivement à Grippotyphosa.

Notons également que la prévention de la leptospirose chez le chien ne porte que sur Canicola et Icterohaemorrhagiae et que 38% des animaux prélevés pour pathologie aigue en 96 (750) ont des taux positifs pour les séro-groupes non vaccinaux. Chez les bovins, porcins et les chevaux la maladie évolue sous forme chronique et les prélèvements faits dans le cadre d'une enquête étiologique essentiellement pour stérilité révèle 80% de positivité pour le millier de chevaux prélevés (prévalence Icterohaemorrhagiae : 54,8%) , et un quart à un tiers pour les 3600 bovins (27% sérogroupe Sejroe, sérovar Hardjo) et porcins prélevés. Sachant que les déjections animales vont actuellement directement dans les rivières…

- Pas de pic estival comme à l'habitude mais une répartition régulière de juin à novembre inclus (75% des cas).

- La répartition géographique va vers une extension. Aquitaine, Ile-de-France et Poitou-chatentes représentent 50 % des cas.

- La part due à Icterohaemorrhagiae s'est accrue

Icterohaemorrhagiae est en cause dans 43% des leptospiroses. La part de Grippo-typhosa est retombée à 10% pour 30-35% dans les années 87-88. L'extension de la maladie est donc bien due à Icterohaemorrhagiae ce qui confirme le rôle du rat dans cette évolution.

Outbreak of Leptospirosis Among White-Water Rafters —Costa Rica, 1996.Morbidity and Mortality weekly Report;U.S. DEPARTMENT OF HEALTH AND HUMAN SERVICES / Public Health Service; June 27, 1997 / Vol. 46 / No. 25

CONTRIBUTION A LA SURVEILLANCE DE LA LEPTOSPIROSE EN FRANCE EN 1997 par Baranton G., Postic D.