COLLOQUE MEDICO-SPORTIF F.F.C.K. NEVERS 1996

Les accidents de submersion au cours

de la pratique du canoë-kayak

Approche épidémiologique, physiopathologique et clinique

A- DÉFINITION

B- APPROCHE ÉPIDEMIOLOGIQUE

C- MECANISME DES NOYADES

D- PHYSIOPATHOLOGIE

E- TABLEAUX CLINIQUES

Conclusion -Bibliographie

 

GRIPPON Philippe (1), GOIX Laurent (2), RIGOT Pascal (2), LAMARRE Philippe (2), EPAIN Daniel (2), VIDAL Patrick (2), JELEFF Charles (2), LEROY Philippe (2), GUITTARD Yves (2).

(1) Fédération française de Canoë-Kayak : Commission médicale nationale. Service d'anesthésie, réanimation, urgences, S.M.U.R. , 31 av.du général Leclerc 77405 Lagny Marne la Vallée.

(2) Service d'anesthésie, réanimation, urgences, S.M.U.R. , 31 av. du général Leclerc 77405 Lagny Marne la Vallée.

Le canoë-kayak, comme toutes les activités nautiques, expose ses pratiquants à un risque d'accident par submersion pouvant les conduire jusqu'à la noyade. Cette pathologie représente pour les responsables de la Fédération et notamment les membres de la Commission médicale nationale une préoccupation constante qui se traduit par de nombreuses actions de prévention en matière d'équipement, de formation et de réglementation.

Cette pathologie impose à tous les pratiquants de mettre à jour leurs connaissances. Il faut être capable, lorsque l'accident survient, de réagir de façon adaptée. Cela suppose non seulement de maîtriser les techniques de sauvetage pour extraire un kayakiste ou un canoéiste en difficulté mais aussi de réaliser dès que possible les soins et les gestes nécessaires à son état.

Nous nous proposons dans ce travail de contribuer à l'amélioration des connaissances en ce qui concerne les accidents de submersion en canoë-kayak. Après avoir défini quelques termes nous essayerons de quantifier la mortalité par noyade en canoë-kayak et de la comparer aux données épidémiologiques disponibles. Puis nous analyserons les différents mécanismes de noyade en canoë-kayak à partir d'une classification récente et reprise par de nombreux auteurs. Nous aborderons ensuite les conséquences physiopathologiques de l'immersion. Nous décrirons enfin les différents tableaux cliniques.

Il nous semble important de comprendre que la prise en charge de tels blessés ne se résume pas à la mise en oeuvre d'une réanimation cardio-pulmonaire systématique, qu'il faut néanmoins bien connaître et pratiquer souvent. Il existe fort heureusement des situations où la victime récupère rapidement. Il faut pourtant connaître, chez ces patients rassurants, les risques d'aggravation secondaire pour ne pas laisser s'installer de redoutables complications tardives. Il faut aussi toujours se demander pourquoi un sujet souvent bon nageur a cessé de lutter.

 

A- DÉFINITION

La noyade se définit comme une immersion dans un liquide conduisant au décès. Cette définition, qui ne prend en compte que les patients décédés, laisse peu de place à l'intervention médicale et en tout état de cause exclut les patients pour lesquels celle-ci a été bénéfique (par définition un noyé est décédé). Certains auteurs utilisent les termes de quasi-noyade ou de noyade manquée correspondant au mot anglais near drowning (littéralement près de la noyade) (6) (4). Nous préférons une terminologie plus descriptive du mécanisme, en parlant de syndrome ou d'accident de submersion.

 

B- APPROCHE ÉPIDEMIOLOGIQUE

1) Les données générales

La noyade est un important problème de santé publique : environ 1 800 décès par an sont recensés en France. Le recueil épidémiologique par cause de décès n'est pas simple : il doit tenir compte non seulement des décès immédiats sur les lieux de l'accident, mais aussi des décès après hospitalisations qui peuvent faire l'objet d'un autre codage diagnostic (œdème aigu du poumon lésionnel, surinfection). Cela entraîne probablement une sous-estimation du nombre de décès(8). L'évaluation de la morbi-mortalité liée au syndrome de submersion ou quasi-noyade est encore plus difficile. On estime qu'il y a 9 à 10 quasi-noyades pour une noyade, soit environ 20 000 syndromes de submersion (2).

Il s'agit d'une pathologie du sujet jeune avec deux pics de fréquence, les nourrissons de 1 à 3 ans, et les 15-25 ans (1) avec une prédominance masculine. Les accidents surviennent surtout en milieu domestique, baignoire et piscine, pour ce qui concerne les enfants (5). Il peut s'agir chez l'adulte d'une pathologie du migrant, du comitial. La prise d'alcool est un facteur de risque fréquemment retrouvé (1).

2) Les données spécifiques au canoë kayak

Un travail de recherche en réseau pilote par la commission de sécurité de la Fédération française de canoë-kayak a permis de faire un recueil fiable et probablement très proche de l'exhaustivité concernant les accidents entraînant un décès par noyade au cours de la pratique du canoë kayak (3). Nous constatons 14 décès en 1995 et 9 décès en 1996 soit environ 0,7 % des décès par noyade constatés en France. Le sexe-ratio est de 1 femme pour 3,6 hommes. Cette prédominance masculine correspond à la répartition des pratiquants. La moyenne d'âge des décès est de 27 ans. Les accidents surviennent dans la plus grande majorité des cas (74%) en rivière ce qui est aussi le lieu de pratique le plus fréquenté puis en mer (18%) puis en lac (9%). Cette étude confirme la dangerosité des barrages : 50% des décès en rivière ont lieu sur ce type d'obstacle (8 décès).

C- MECANISME DES NOYADES

On distingue actuellement trois grands types de causes : les incapacités à maintenir la tête hors de l'eau, l'incapacité à réagir au stimulus contact de l'eau et les accidents de plongée (8).

1) Les incapacités à maintenir la tête hors de l'eau

Il s'agit d'un sujet ne sachant pas nager, chutant accidentellement ou volontairement ou d'un sujet mis dans l'incapacité de se tenir à la surface de l'eau :

- soit du fait d'une cause extérieure : blocage dans un bateau, coincement dans des branches, par des vêtements, blocage d'un segment de membre (cheville) dans une anfractuosité rocheuse.

- soit du fait d'un traumatisme sans altération de conscience : luxation d'épaule, fracture de membre, etc.

2) incapacité à réagir au stimulus contact de l'eau

En reprenant une terminologie plus ancienne : les noyades syncopales.

a) Cette incapacité à réagir peut avoir une cause traumatique

Traumatisme crânien avec perte de connaissance brève, traumatisme du rachis cervical avec migration discale entraînant une tétraplégie transitoire (traumatisme en hyperflexion), traumatisme oculaire, abdominal, thoracique ou de membre avec réaction vaso-vagale liée à la douleur entraînant une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu'à la perte de connaissance brève.

b) Cette incapacité à réagir peut avoir une cause médicale

Crises comitiales, accident vasculaire cérébral (rupture anévrismale), troubles du rythme cardiaque (dont les malaises vagaux).

c) Cette incapacité à réagir peut être liée au milieu aquatique

- Le mécanisme le plus fréquent est l'épuisement du sujet dans l'eau qui finira par cesser de lutter. L'épuisement initialement décrit comme une défaillance musculaire est de plus en plus souvent rapporté à une situation d'hypothermie : l'incapacité de l'organisme à maintenir sa température centrale, secondaire à l'épuisement musculaire, est à l'origine d'une diminution de la vigilance du sujet alors incapable de se maintenir hors de l'eau.

- La syncope thermo-différentielle dont le concept repose sur la théorie suivante : une vasoconstriction réflexe due à l'eau froide entraîne une brutale surcharge de la circulation de retour et par ce mécanisme une brutale augmentation de la précharge et du travail cardiaque. Le cœur, dans l'incapacité de répondre à cette demande, se mettrait alors en incompétence myocardique à l'origine d'un bas débit entraînant une perte de connaissance. Ce diagnostic est trop souvent utilisé pour expliquer des noyades Il n'a jamais été prouvé expérimentalement et reste à notre avis un modèle théorique.

- Les allergies à l'eau et au froid

Dans certaines situations, l'organisme peut réagir en libérant des médiateurs chimiques lors de la rencontre avec un allergène. Ces substances ont pour la plupart un important pouvoir vaso-dilatateur entraînant par ce mécanisme une chute de la précharge et un choc par vasoplégie. Il s'agit de situations probablement très rares.

3) les accidents de plongée

Ils sortent du cadre de l'exposé. On citera pour mémoire :

Les problèmes liés à l'hyperventilation préparatoire à l'apnée, les syncopes barotraumatiques, les mouvements respiratoires réflexe en apnée, le rendez-vous syncopal des 10 mètres, les narcoses à l'azote, les accidents de décompression.

 

Les accidents de type I, c'est-à-dire incapacité à maintenir la tête hors de l'eau représentent 35 % des observations qui sont liées soit à des coincements dans des branches soit à des accidents en barrage. La grande majorité des accidents (65 %) sont en fait de type II, c'est-à-dire par incapacité à réagir au stimulus d'immersion, soit de façon immédiate (9 % des cas) par traumatisme ou malaise initial, soit (56 % des cas) après une phase de lutte active, l'épuisement survient, celui-ci étant quasiment constamment l'expression clinique de l'hypothermie (3).

D- PHYSIOPATHOLOGIE

1) Réactions à l'immersion (8) (4) (1)

a- Après une phase d'apnée volontaire (s'il n'existe pas de trouble de la conscience préexistant), sous l'effet de l'hypoxie et de l'hypercapnie, se produit un réflexe d'inspiration pendant que s'installe un trouble de la conscience.

b- Les premières gouttes de liquide sur l'arbre trachéal entraînent alors un laryngospasme. Il dure une à deux minutes, pendant lesquelles sous l'effet de l'hypoxie, se produisent des mouvements de déglutition qui remplissent l'estomac du liquide de submersion.

c- Dans la plupart des cas, le laryngospasme est levé sous l'effet de l'hypoxie et de l'hypercapnie alors qu'il persiste quelques mouvements respiratoires ; ce qui conduit à l'inondation de l'arbre trachéo-bronchique. Mais dans 15 % des cas environ, l'arrêt respiratoire survient avant la levée du bronchospasme, ce qui explique les cas de noyades à poumons secs en dehors de tout état syncopal initial.

d- L'arrêt cardiaque survient classiquement par anoxie avec dans certains cas, une participation hémodynamique fugace (7).

2) L'œdème pulmonaire (1)

Il s'agit avant tout d'un oedème lésionnel par destruction du surfactant. La distinction entre noyade en eau de mer et noyade en eau douce n'a pas d'incidence thérapeutique particulière. Il est classique de décrire :

- Pour les noyades en eau douce donc hypotonique par rapport au plasma, le passage de l'eau se fait du compartiment alvéolaire vers le compartiment sanguin avec augmentation de la précharge et composante hémodynamique par insuffisance ventriculaire gauche (7). Une hémodilution peut entraîner une hémolyse et des troubles hydroélectrolytiques entraînant des troubles du rythme et de la conduction.

- Pour les noyades en eau de mer hypertonique par rapport au plasma avec passage de l'eau du compartiment sanguine vers l'alvéole : oedème pulmonaire lésionnel, hémoconcentration, désordre électrolytique responsable de troubles du rythme et de la conduction.

Il a été prouvé chez l'animal que la survie était inversement proportionnelle à la quantité d'eau inhalée. Les conséquences de cette inhalation alvéolaire sont une destruction au surfactant entraînant des micro-atélectasies diffuses entraînant une hypoxie par effet shunt. Ces lésions peuvent ne pas être maximales d'emblée, ce qui explique que les aggravations secondaires fréquemment observées.

L'eau véhicule des particules solides et des micro-organismes susceptibles d'entraîner des complications septiques à moyen terme.

3) Les conséquences secondaires (8)

Le déficit de ventilation et les lésions alvéolaires entraînent une hypoxie, puis une anoxie dont les conséquences sur le cerveau vont conditionner une part essentielle du pronostic.

L'anoxie cérébrale conduit à un oedème cérébral aggravant lui-même les lésions notamment par perte de l'autorégulation de la circulation cérébrale. Elle explique la symptomatologie neurologique au premier plan chez ces patients (coma, convulsions).

L'anoxie tissulaire, notamment myocardique, explique en grande partie les conséquences hémodynamiques et les troubles du rythme observés associé à l'hypercapnie  ; elle entraîne une acidose avec d'importants troubles hydro-électrolytiques. Les perturbations liées à l'absorption d'eau semblent relever plus largement de l'absorption digestive que du passage à travers la membrane alvéolo-capillaire lésée.

L'hypothermie est très fréquente, même en ambiance tropicale ou en piscine chauffée. La perte de chaleur relève d'un mécanisme de convection. Elle est proportionnelle à la durée de l'immersion, à la température de l'eau, à la vitesse du courant. Elle est inversement proportionnelle à la protection vestimentaire du sujet et à sa masse grasse. Elle est presque constamment retrouvée en canoë-kayak et est probablement responsable à elle seule de plus de la moitié des décès. Elle a un effet protecteur cérébral mais génère des complications notamment hémodynamiques qui grèvent le pronostic et compliquent la réanimation.

E- TABLEAUX CLINIQUES

Un bilan clinique portant sur l'analyse de la ventilation de l'hémodynamique et l'état neurologique permet une classification des patients en quatre groupes qui codifient bien les modalités de prise en charge (8) (1).Il faut néanmoins impérativement compléter l'examen clinique à la recherche d'une éventuelle pathologie associée et notamment traumatique.

Groupe I : Aqua stress

La victime n'a pas inhalé d'eau. Il faut rassurer , réchauffer, contrôler la glycémie et corriger une éventuelle hypoglycémie. Le contrôle des des gaz du sang (SaO2, PaO2, PaCO2) est souhaitable en milieu hospitalier. Une surveillance dans une unité d'hospitalisation de courte durée est recommandée.

Groupe II : Petit hypoxique

L'eau a pénétré dans l'arbre trachéo-bronchique mais la récupération a été rapide. L'examen clinique met en évidence : toux, gêne respiratoire, fréquence respiratoire augmentée, tachycardie, auscultation pulmonaire normale ou quelques crépitants. L'état de conscience est normal.

Conduite à tenir :

1- vidange gastrique,

2- Oxygénothérapie pour obtenir une PaO2 > 90 mmHg,

3- médicalisation du transport,

4- surveillance hospitalière en réanimation,

5- antibiothérapie.

Groupe III : Grand hypoxique

L'examen clinique montre : conscience variable, coma, détresse respiratoire, fréquence respiratoire augmentée, dyspnée, cyanose, râles bronchiques à l'auscultation pulmonaire, oedème pulmonaire.

Conduite à tenir :

1- ventilation assistée,

2- ventilation en pression expiratoire positive (P.E.E.P.),

3- vidange gastrique,

4- médicalisation du transport,

5- surveillance hospitalière en réanimation,

6- sédation,

7- Furosémide,

8- traitement anticonvulsivant si nécessaire,

9- antibiothérapie.

Groupe IV : anoxique

Examen clinique : arrêt cardiorespiratoire, trouble du rythme, coma anoxique, cyanose, râles bronchiques à l'auscultation pulmonaire, oedème pulmonaire.

Conduite à tenir :

1- ventilation assistée,

2- ventilation en pression expiratoire positive (P.E.E.P.),

3- vidange gastrique,

4- médicalisation du transport,

5- surveillance hospitalière en réanimation,

6- sédation,

7- Furosémide,

8- traitement anticonvulsivant si nécessaire,

9- antibiothérapie.

 

conclusion

La noyade est un accident rare en canoë-kayak au regard de la population pratiquant cette activité. Les accidents de submersion sont probablement beaucoup plus fréquents, mais aussi beaucoup plus difficiles à évaluer. Il faut souligner l'importance des mécanismes de noyades dites secondaires soit du fait d'une pathologie intriquée, notamment traumatique, soit le plus souvent par installation rapide d'une hypothermie.

Les mécanismes physiopathologiques conduisent à la lésion de l'alvéole. ; s'installe alors un oedème pulmonaire lésionnel qui peut être à début insidieux et évoluer vers un syndrome de détresse respiratoire aiguë dont la conséquence est l'hypoxie. Si les tableaux cliniques des anoxiques ou des grands hypoxiques ne font guère douter de l'intérêt d'une prise en charge pré-hospitalière et hospitalière précoce et intensive, il n'en va pas de même pour les tableaux des petits hypoxiques et des aqua-stress beaucoup plus trompeurs, surtout lorsqu'ils sont examinés dans les toutes première heures.

Il faut enfin prendre en compte l'hypothermie qui doit, lorsqu'elle est présente, conduire à prolonger de façon considérable la réanimation pré-hospitalière et hospitalière et mettre en œuvre des moyens de réchauffement centraux : l'effet protecteur cérébral de l'hypothermie permet d'espérer une récupération neurologique remarquable compte tenu de la durée d'hypoxie.

Les meilleurs traitements des syndromes de submersion n'en reste pas moins les moyens de prévention.

 

Bibliographie

(1) GAUTRON M., RONCHI L., FAINTRENS A. et LIBEAU B. Conduite à tenir devant une noyade. Editions techniques. Encyclo. Méd. Chir. (Paris, France). Urgences, 24 115 a. 1992, 5 P.

(2) GAUTHIER M. : La noyade chez l'enfant. La Revue du Praticien 1990, tome 40 n° 9, 812-816.

(3) GONNEAU JC : Les accidents mortels en canoë kayak Document FFCK 1996.

(4) JEROME H, MODELL M D, Drowning ; New England Journal of Médecine, 1993, vol 328, n°4, p 253 à p 256.

(5) LAVAUD J. Les Noyades de l'enfant La Revue du Praticien, 1982, 2759, 2762

(6) MODEL JH ; Drown versus near drown, a discussion of définition ; Crit Care ; Med 1981 ; 351 - 2.

(7) POURRIAT JL, GUITTARD Y, RATHAT C et coll ; Oedème aigu du poumon hémodynamique puis lésionnel au décours d'une noyade en eau douce.

(8) RONCHI L., GAUTRON M. Noyade. Urgences Médico-chirurgicales de l'adulte. P. CARLI. Briou. ARNETTE 1991, p 658 à p 676.