David W. Amstrong, Rita Moran, Paméla Lemons
Université du Maryland
Bulletin Technique - F.F.C.K. - n° 55 - juillet 1991
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L'augmentation de popularité des courses de marathon en France depuis deux années est très sensible. Les compétitions, en plus de leurs particularité techniques et tactiques, ont la capacité de rassembler dans une même épreuve les athlètes de toutes les disciplines et de tous les âges. Ils trouveront dans cet article de nombreuses explications sur le métabolisme lié à l'activité. Une sensibilisation aux méthodes d'entraînement permettra aussi à chacun de partir sur des bases saines avant de personnaliser sa programmation. L'ensemble des informations demeurent simples et accessibles et doivent être considérées comme un canevas de base. Pour en savoir plus attendons la thèse du Docteur Daniel W ASTRONG.
François DURAND Entraîneur National Descente.
Les canoëistes marathoniens font partie des athlètes les plus endurants au même titre que les cyclistes, les skieurs de fond et les rameurs. Nous avons conclu cela après avoir étudié les résultats de tests effectués sur 54 canoëistes marathoniens, lors des derniers championnats nationaux qui se sont déroulés au mois d'Août, à Marinette, dans le Wisconsin (USA). La pratique du marathon en canoë offre l'opportunité pour des athlètes de tous âges, de maintenir de grandes qualités d'endurance à travers un travail des parties hautes du corps. De très hauts niveaux de consommation d'oxygène peuvent être atteints, ainsi qu'une diminution du taux de graisses et qu'une augmentation des qualités de forces et d'endurance, dans les parties hautes du corps. Ces qualités peuvent être acquises par des individus incapables de s'entraîner en course à pied ou à bicyclette.
A notre connaissance, nous sommes les seuls à avoir réalisé une étude approfondie des canoëistes de marathon pagayant dans une position assise.
Le but de cette étude a été de déterminer les caractéristiques physiologiques des canoëistes de haut-niveau.
54 canoéistes, 39 hommes et 14 femmes, âgés de 18 à 67 ans ont accepté de prendre part à notre étude. Il n'y avait pas de différences significatives parmi les hommes et les femmes concernant la taille, le poids et le pourcentage de graisses. Les canoëistes avaient moins de graisses que leur homologues sédentaires (15 à 18 % pour un homme sédentaire et 25 à 28 % pour une femme sédentaire), mais contrairement à la course à pied, le succès des pagayeurs ne dépend pas d'un faible poids de corps ou d'un faible pourcentage de graisses. La réussite de pagayeurs est très certainement liée à la masse musculaire dont ils disposent dans les parties hautes du corps. Les rythmes cardiaques ont atteints 90 % des valeurs maximales théoriques pour un âge donné, et ceci, dans certain des groupes d'âge (220-âge = fréquence cardiaque maximale). La consommation maximale d'oxygène était la même pour les groupes d'âge de 18 à 39 et de 40 à 49.
La V02 max était légèrement inférieure pour les hommes de plus de 50 ans. Il y avait pas de différences significatives parmi les groupes de femmes en raison du faible échantillon dans le groupe des 40-49 ans.
La différence entre la meilleura V02 max des hommes (5,1 litres) et la meilleure V02 des femmes (3,7 litres) était de 1,6 litres. C'est cette différence absolue de consommation d'oxygène qui sépare l'élite masculine de l'élite féminine, et dont le résultat est de l'ordre d'une minute au mile (environ 1,6 km) à vitesse de course entre une femme et un homme utilisant une embarcation de type C1.
L'évaluation standard de la capacité à capturer, transporter et consommer l'oxygène s'effectue à partir du test de consommation maximale d'oxygène (V02max). La V02max est spécifique des groupes musclaires testés, ainsi les coureurs sont meilleurs sur tapis roulant, les cyclistes sur bicyclette ergonomique et les canoëistes, sur une machine à pagayer ergonomique.
Nous avons testé les athlètes en utilisant un ergomètre sophistiqué qui nous a été prêté par Bill Endicott entraîneur de l'équipe de slalom américain. Les gaz expirés ont été collectés dans un analyseur de type MMC "Horizon Métabolic", pour l'analyse de la consommation d'oxygène et des autres variables du métabolisme. Le protocole du test comprenait 8 minutes d'échauffement à une charge de travail nominale, suivies de 2 minutes de repos puis s'achevant par 3 minutes d'effort avec une charge de travail élevé. Ce cycle récupération/effort a été répété jusqu'à ce que l'athlète, malgré les encouragements verbaux, ne puisse plus poursuivre le test plus loin. Avant l'échauffement, pendant chaque intervalle de récupération et 2 minutes après la fin du test, plusieurs gouttes de sang ont été prélevées afin de mesurer le taux de lactates.
Une V02max élevée contribue très certainement à la réussite des canoëistes en marathon et ceci, dans une fourchette de 5 litres d'oxygène par minute pour les hommes, et 3 litres pour les femmes comme l'ont démontré, les différents tests de V02 max.
Le facteur significatif, contribuant à ces hautes valeurs de consommation d'oxygène, est le poids du corps. L'influence du poids de corps sur la consommation absolue d'oxygène ne devait pas être une surprise. En effet, les canoëistes de forte corpulence ont un meilleur V02 max que ceux de faible corpulence, ceci est dû au fait qu'ils disposent d'une plus grande masse musculaire.
Les données de notre investigation ont vérifiées ce concept. Nous avons découvert une relation significative entre le poids de corps et le V02max (plus on est lourd, meilleure sera la V02 max). Aucun autre facteur tel, l'âge, la taille, le pourcentage de graisse ou la fréquence cardiaque n'influe sur le V02max. Ce n'est pas très important de noter qu'aucune baisse de V02 max n'a été remarquée avant que nous ne testions les sujets âgés de plus de 50 ans. Les femmes de l'échantillon 40/49 ans ont obtenu de meilleures valeurs que leurs plus jeunes partenaires.
Question : est-il possible d'établir une corrélation entre les valeurs de V02 max et les performances mesurées en compétitions ? Même si la V02max contribue à la performance, d'autres facteurs tels que la technique, l'efficacité de la propulsion et la force mentale peuvent favoriser la performance. Le meilleur athlète est celui qui sera capable de déplacer son bateau en utilisant le moins d'oxygène possible, tout en maintenant des réserves substantielles pour les conditions difficiles ou les phases de sprint. L'efficacité individuelle d'un pagayeur peut être évaluée précisement en mesurant la concentration d'acide lactique (lactate) correspondant à une charge de travail spécifique sur un ergomètre, ou alors en mesurant la vélocité de l'embarcation et la fréquence de l'embarcation et la fréquence cardiaque.
L'acide lactique (lactates) est un produit du métabolisme anaérobie du glucose. Les lactates sont continuellement fabriqués et consommés par les cellules, mais lorsque l'effort augmente, la production de lactate dépasse le taux d'utilisation du métabolisme cellulaire. Certains pensent qu'avec des charges de travail élevées, le muscle fonctionne sans alimentation correcte en oxygène. Ce qui se produit très certainement, c'est que le muscle en action atteint une demande en énergie telle, que la filière de la glycolyse devient la principale source d'énergie à court terme. La phase aérobie du processus cellulaire ne suit plus le rythme, entraînant ainsi une accumulation de lactates. Les lactates sont métabolisés, mais leur taux ne peut décroître que lorsque l'effort diminue ou bien lorsque l'athlète est au repos. Aucun athlète ne peut travailler longtemps en anaérobie parce que l'augmentation du taux de lactates dans le sang entraîne une diminution du fonctionnement des métabolismes musculaires. L'athlète doit alors s'arrêter ou ralentir.
Alors que les lactates passent des cellules vers le sang, la concentration de plasma commence à augmenter. A partir d'un certain niveau d'effort, déterminé préalablement en fonction du niveau aérobie de l'individu, la quantité de lactates plasmatiques produite dépasse celle consommée. Cette étape correspond à ce que l'on qualifie couramment de seuil, elle s'accompagne d'une modification chimique du sang ainsi que d'une augmentation de la fréquence respiratoire. Lorsque la charge de travail continue à augmenter, le niveau des lactates plasmatique augmente exponentiellement pour atteindre un maximum, entre 2 à 5 minutes après l'abandon du test par l'athlète.
Dans notre étude, les pagayeurs ont tous atteints la concentration maximale de lactates à une fréquence cardiaque de 160 battements/minute. Cette concentration était de 4 milliMoles (mM) de lactate par litre de sang. Cette fréquence cardiaque correspond à environ 90 % de la fréquence cardiaque maximale déterminée pour ce groupe d'hommes et de femmes. Une fréquence maximale habituelle pour cette classe d'âge. Un athlète très en forme sera capable de maintenir un rythme de course entraînant une concentration lactique de 4 mM/l pour des périodes de temps prolongées. Le fruit de cette recherche est mis en application pour la conception des programmes d'entraînement.
Que ce soit pour la course à pieds, la bicyclette, l'aviron ou le canoë, plusieurs principes sont à prendre en considération pour établir un programme d'entraînement correct. L'entraînement d'un pagayeur marathonien nécessitera la prise en compte de tous les éléments suivants : spécificité, charge de travail élevée et repos.
La spécificité signifie simplement que les coureurs devraient courir, que les rameurs devraient ramer, les cyclistes courir, et que les canoëistes pagayer. Ce n'est pas réaliste d'attendre d'un athlète novice dans un sport particulier, la réalisation d'une grande quantité d'entraînement. Nous pensons que des athlètes novices doivent pratiquer un minimum de 200 heures de canoë avant qu'un programme d'entraînement puisse être profitable. La course à pied peut apporter quelque chose dans le cas d'une blessure ou du besoin de repos pour certains groupes musculaires, mais un pagayeur ne deviendra pas meilleur en courant ou en pédalant, mais plutôt en pagayant le plus souvent possible et en respectant certaines règles d'entraînement.
La plupart des athlètes, s'entraînent involontairement « à aller doucement ». Ce type d'entraînement apporte moins que le mélange de séances aérobies faciles avec des séances d'interval-training. Les athlètes capables de sortir du concept d'entraînement « je me sens bien » sont ceux qui performant le mieux. L'amélioration de la puissance aérobie et musculaire est obtenue en surchargeant le système par une augmentation progressive de l'intensité des séances d'entraînement. Cette surcharge de travail peut être obtenue en augmentant la fréquence, la durée ou l'intensité de l'exercice. Beaucoup d'athlètes deviennent obsédés par la durée (plus de temps passé = meilleure performance), ou la fréquence (si trois fois par semaine suffit, six fois par semaine sera deux fois mieux ... ). En général, les athlètes tendent à s'entraîner trop souvent, trop longtemps et à trop faible intensité, certainement parce que les faibles intensités de travail sont plus faciles à maintenir et qu'elles apportent de bonnes sensations.
Les athlètes de haut-niveau seraient plus performants s'ils accordaient plus d'attention à l'intensité de leurs entraînements, plutôt qu'au temps passé et au nombre de séances effectuées chaque semaine.
Nous encourageons les athlètes à se procurer un cardio-fréquencemètre pour les aider à moduler leur entraînement. En utilisant ce moyen de contrôle, l'athlète peut déterminer son rythme cardiaque maximum en effectuant des sprints de 1000 mètres à fond. Par la suite, en s'entraînant à 75 % ou 80 % de cette fréquence maximale, le pagayeur améliorera rapidement ses capacités. Le résultat est un rythme de course plus élevé. On devient meilleur en pagayant une heure à 80 ou 85 % de sa fréquence cardiaque maxi, plutôt qu'en s'entraînant 3 heures à 60 %. Ce type d'entraînement provoque une élévation du rythme cardiaque pour lequel l'athlète atteint une concentration de 4 mM/l de lactate dans le sang.
L'efficacité de l'athlète s'en trouve améliorée et le bateau se déplace plus vite.
La majorité des athlètes que nous avons testés lors des championnats nationaux nous est apparue sur-entraînée, ou si vous voulez, pas assez reposée. En plus de leur travail plein temps, beaucoup de ces athlètes s'entraînent de 15 à 25 heures par semaine tout au long de l'année. Pour l'obtention de performances de haut-niveau, la récupération est essentielle. Des études récentes ont montré que le bénéfice d'un entraînement et de sa durée est maximum, lorsque la dépense hebdomadaire en calories atteint 1000 cal/jour, soit 7000 calories par semaine. Pour un pagayeur moyen dont le V02 max est de 3,5 litres /mn et produisant un effort correspondant à 80 % de sa fréquence cardiaque maximale, 1000 calories équivaut à environ 72 minutes d'effort continu à cette intensité. Ceci n'inclut pas l'échauffement, les étirements et le retour au calme. Evidement, beaucoup de courses durent plus de 70 minutes. La solution à cet apparent dilemme est de s'entraîner très dur sur des périodes de temps assez longues, 1 à 2 fois par semaine et de se reposer les autres jours ou de récupérer sur des séances de très faible intensité.
Ceci, surtout pendant la saison de compétition. Les athlètes les mieux reposés seront les plus performant et les plus constants.
Après l'effort le repos est facile!
Amstrong est un coureur actif de marathon qui prépare un doctorat de physiologie de l'effort à l'université du Maryland.